Préface d'Armand Idrac

EXTRAITS
< p.25  p.35  p.108  p.115  p.187  p.218 >

ENFANCE          25

      Sur l'immense table de chêne massif encadrée de bancs trônait la traditionnelle carafe de "Calva" et à côté, un petit verre à pied, la mesure quoi !

      - Eh bien ! Père Emile, vous n'allez pas repartir sans prendre une petite goutte ?

      - Ce n'est pas de refus.

      D'ailleurs, ne pas accepter eut été une injure impardonnable.

      Mais l'Oncle était pris entre le plaisir de boire un coup de "gnôle" avant de revenir chez lui et le dégoût pour ce verre unique non seulement ébréché, mais dont la transparence douteuse témoignait qu'il n'était jamais rincé entre les visiteurs. Après tout, il avait fait la guerre de 14 et savait que l'alcool purifie ; ayant repéré l'échancrure du verre, il se dit : "Les autres n'ont pas dû boire par ce côté-là."

      Et tandis qu'il avalait son Calva, le vieux fermier le regardait avec un air bizarrement ironique, avant de lui dire : "Attention, Père Emile ! Vous pourriez vous couper. Je ne comprends pas pourquoi vous buvez exactement comme le Facteur, par le côté ébréché ! "

      Avec le temps mes souvenirs d'enfance se sont aussi curieusement ébréchés. Certains vivent dans ma mémoire aussi nets et aussi lumineux que sur l'écran de la télévision, d'autres s'estompent comme dans le brouillard d'un verre sale, et puis il y a tous les autres partis en éclats et dont il ne reste rien..